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Quelle place pour le patient dans la pertinence des soins ?
16 octobre 2025
Alors que s’engage la discussion parlementaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Forum Pour la Santé de Demain a tenu mercredi 15 octobre son premier événement autour de la place des patients dans la pertinence des soins.
LA PERTINENCE EST UN IMPERATIF POUR NOTRE SYSTEME
Le bon traitement, pour le bon patient, au bon moment, par le bon professionnel… et au meilleur coût pour le système de soins.
Voulue par de nombreux acteurs, la pertinence apparait comme un enjeu central de notre système de santé à bout de souffle, marqué par des dépenses à la croissance exponentielle, remettant en cause sa soutenabilité à moyen terme. Rappelons que l’on chiffre à 40 milliards d’euros le montant des dépenses liées aux complications évitables dans le soin provoqué entre autres par le mésusage des produits de santé, la iatrogénie ou encore le sous-usage, notamment en prévention secondaire et tertiaire A cela s’ajoute la fraude, les pratiques de prescription souvent non justifiées, ou encore l’absence de suivi et de traçabilité, qui engendre des actes redondants et inutiles. Face à ces problèmes, la pertinence est un impératif.
Cependant, engager le système de santé sur la voie de la pertinence représente un vrai défi et pose la question des conditions et des critères de cette pertinence, mais aussi et surtout de l’engagement des patients et des professionnels tout autant que celui des systèmes d’information.
LA PERTINENCE SE FERA AVEC LES PATIENTS OU NE SE FERA PAS…
Le débat public de ces dernières années tend à confondre trois notions, pourtant différentes : la pertinence, l’efficience et la responsabilisation des patients. Comme l’a souligné Jean-François Thebaut, vice-président de la Fédération Française des Diabétiques, le patient n’est pas responsable de son état de santé dans notre système de sécurité sociale, fondé autour d’un principe intangible : « Chacun y contribue selon ses moyens et en bénéficie selon ses besoins ». En revanche, il est responsable de son observance, c’est-à-dire de l’adhésion à son traitement. Ce point est déterminant car le patient n’y adhèrera que s’il en a compris l’intérêt. Cela suppose une délibération entre le patient et son soignant autour du choix du traitement ou des investigations. Cette délibération permettra d’avoir un soin pertinent et de haute valeur ajoutée. C’est ce qu’on appelle la décision partagée.
Le patient est central dans la pertinence des soins car il est le plus à même d’évaluer son résultat de santé. Il faut donc le mobiliser et arriver à créer un véritable partenariat avec le professionnel de santé où le patient sera écouté, pourra parler et partager son vécu (ses choix de vie) et son expérience. Pour le professionnel de santé, cela signifie deux choses :
1) Communiquer une information adéquate, compréhensible, éclairante et loyale.
2) Tenir compte des préférences du patient tant en termes de traitement que vis-à-vis des effets indésirables.
Si la mesure de la pertinence était auparavant réalisée uniquement par les professionnels de santé Clinician-Reported Outcome Measures (CROMS) elle intègre de plus en plus le point de vue des patients, via par exemple les Patient-Reported Outcome Measures (PROMS).
La pertinence des soins ne pourra se faire qu’avec les patients : qui connait mieux une pathologie chronique, que le patient qui en est atteint ?
Ceci ayant été posé, comment atteindre cet objectif d’inclusion de l’expérience patient dans l’évaluation de la pertinence ? Si la Haute Autorité de Santé propose des indicateurs, la question de la collecte des données reste entière. Certes, il existe le Système National d’Information Inter-Régimes de l’Assurance Maladie (SNIIRAM) et le Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information (PMSI), mais ce sont des données médico-administratives, les registres des sociétés savantes ne sont pas accessibles et les dossiers du patient ne sont pas encore réellement exploitables, en routine.
POUR UN SYSTEME DE SANTE A HAUTE VALEUR AJOUTE : LE COURAGE D’ENGAGER UNE REFORME EN PROFONDEUR
Tous les acteurs s’accordent sur le constat suivant : notre système de santé est à bout de souffle, marqué un emballement des dépenses. Si l’Assurance maladie sait parfaitement appliquer les règles, il lui est difficile de gérer et traiter les exceptions à ces règles, ce qui explique la faible visibilité et la faible maitrise des dépenses de santé. Dans ce contexte, il apparait urgent d’engager une réforme en profondeur du système de santé où la pertinence serait au centre. Cela suppose plusieurs mesures :
1) Capitaliser sur le numérique en santé : il permet d’enrichir les informations apportées aux acteurs du système de santé et de leur communiquer la bonne information. Pour les professionnels de santé, cela peut être de connaitre les motifs de la consultation en amont, d’assurer un suivi en aval ou d’avoir accès aux recommandations de la Haute Autorité de Santé ou des sociétés savantes. A cet égard, le Dossier Médical Partagé (DMP), bien qu’imparfait, est un outil puissant de centralisation de la donnée – pour autant qu’il soit correctement alimenté[1]. Le développement des outils d’intelligence artificielle renforce son intérêt, avec l’espoir de constituer des synthèses à destination des soignants et des patients. Il faut donc l’alimenter pour que le DMP devienne un maillon efficace dans la chaine de la pertinence des soins. En parallèle, il est crucial que la puissance publique développe des outils souverains, éthiques et coconstruits avec ces utilisateurs.
2) Accompagner les professionnels de santé sur les compétences comportementales : les soignants doivent être formés, dès leur formation initiale, sur les compétences comportementales, notamment la communication envers les patients. C’est par ce travail sur les « soft skills » qu’on amènera les professionnels de santé à placer le patient au centre de sa prise en charge.
3) Acculturer les patients à leur rôle actif dans le soin : les associations de patients sont fondamentales dans la délivrance d’une information correcte, sourcée et de confiance mais également dans la coconstruction de la prise en charge des patients. L’exemple du VIH est en illustration la plus flagrante : nous avions assisté à une co-construction du savoir entre les patients et les soignants. Dans cette perspective, la place des patients experts doit être consolidée. En parallèle, les patients doivent être mieux associés aux décisions thérapeutiques et apprendre à poser des questions.
4) Rendre obligatoire la justification de la non-application des recommandations de la Haute Autorité de Santé : Si l’équipe soignante peut s’écarter des recommandations de la Haute Autorité de Santé, cela doit cependant se justifier au regard de la situation du patient. Tant que les soignants ne devront pas le justifier, il sera difficile de placer la pertinence au centre du système de soins.
5) Revoir le mode de rémunération des professionnels de santé : tant que nous aurons un mode de rémunération centré sur les actes, la pertinence des soins sera un vœu pieu, car l’on rémunère de la même manière un soin pertinent et un soin non pertinent. Il faut mettre en place un véritable système incitatif. Cela suppose de modifier le cadre conventionnel actuel pour asseoir majoritairement la rémunération sur l’atteinte d’objectifs de santé publique. La transformation de la tarification est le moyen le plus efficace pour engager les professionnels de santé dans la pertinence et la délivrance de soins à haute valeur ajoutée centrée sur le patient.
Cinq mesures immédiates pour renforcer la pertinence dans notre système de santé
1) Renforcer l’alimentation du Dossier Médical Partagé ;
2) Développer des outils coconstruits, souverains et éthiques pour exploiter les données contenues dans le DMP ;
3) Financer les Conseils Nationaux Professionnels pour développer des registres accessibles intégrant une mesure de la qualité et du suivi des bonnes pratiques ;
4) Donner à la Haute Autorité de Santé un accès à ces registres pour faire des benchmarks avec des données fiables.
5) Privilégier des objectifs de santé publique dans la tarification aussi bien hospitalière qu’ambulatoire
[1] C’est dans cet esprit que plusieurs amendements au PLFSS 2026 ont été déposés afin d’imposer des pénalités financières en cas d’alimentation insuffisante du DMP par les professionnels et établissements de santé.
